« Je ne suis pas un tortionnaire, je suis un Africain. »
Cette phrase, prononcée par le commissaire Billong à un suspect, résonne bien après la fin du film. Elle est au cœur d’Indomptables, le nouveau long-métrage de Thomas Ngijol, sorti en salles le 11 juin 2025. Pour ceux qui n’ont pas vu le film, elle pourrait sembler anodine. Pourtant, elle incarne toute la complexité, la douleur et la dignité que Ngijol dépeint dans ce polar profondément humain.
Le point de départ est simple : à Yaoundé, au Cameroun, un officier de police est retrouvé assassiné. Le commissaire Billong – interprété par Thomas Ngijol lui-même – est chargé de résoudre l’enquête. Mais ce serait une erreur de croire qu’Indomptables se résume à une simple intrigue policière.
Une rupture avec la comédie
Depuis ses débuts en tant que réalisateur, Thomas Ngijol n’a jamais caché son intérêt pour ses racines africaines. Que ce soit dans Case départ, Le Crocodile du Botswanga, Fastlife ou encore Black Snake, il abordait des thématiques profondes avec humour et dérision. Il s’y mettait souvent en scène de manière caricaturale, pour faire rire tout en dénonçant.
Mais Indomptables, présenté à la Quinzaine des Cinéastes au Festival de Cannes 2025, marque une vraie rupture. Ici, pas de grimaces, pas de blagues faciles. Librement inspiré du documentaire Un crime à Abidjan de Mosco Levi Boucault (1997), Ngijol livre un film radicalement différent : un polar ultra-réaliste, âpre et profondément ancré dans le réel.

Le Cameroun comme personnage principal
Ce qui frappe d’abord, c’est la manière dont le Cameroun est filmé. Les rues de Yaoundé, captées de nuit, sont brutes, vivantes, parfois oppressantes. Une scène magnifique voit Billong arpenter la ville en voiture, sur fond de Marvin Gaye : c’est à la fois beau, mélancolique et profondément touchant.
Ngijol ne cherche pas à flatter le regard du spectateur : il montre un pays sans fard. La violence, la corruption, les enfants errants, les hôpitaux vétustes, les prisons délabrées… Tout est là. On y croise même des commerçants asiatiques, symbole d’une nouvelle forme de colonisation économique.
Et pourtant, malgré cette misère palpable, une lumière subsiste : celle de l’espoir. Un espoir modeste, fragile, mais réel. Ce n’est pas sans rappeler La vie est belle (1987) avec feu Papa Wemba, qui montrait lui aussi, dans un registre plus léger, une Afrique réaliste, sans concession mais pleine de vie.
Un film sur la famille avant tout
Le cœur du film, ce n’est pas tant l’enquête, mais bien l’homme derrière l’uniforme : le commissaire Billong. Respecté au commissariat, craint à la maison. Ngijol incarne ce patriarche fatigué, usé, incapable d’exprimer son amour autrement que par le silence, l’ordre, ou les plats qu’il prépare.
À la maison, il est déconnecté de ses enfants. Sa femme, elle aussi, semble résignée. Indomptables parle de ces blessures invisibles, de cette éducation rigide que partagent beaucoup d’enfants d’Afrique ou de la diaspora. Comme le rappeur Dinos le résume : « On a grandi comme au bled, nos parents, ils s’excusent pas. Quand ils ont tort, ils nous font à manger ».
C’est exactement cela que Ngijol met en scène, avec une justesse bouleversante.
Un acteur transformé
Dans le rôle du commissaire Billong, Thomas Ngijol livre sans aucun doute la performance la plus sobre et la plus puissante de sa carrière. Fini les excès comiques de ses débuts : ici, il est tout en retenue, en tension. Il va même jusqu’à adopter l’accent local pour renforcer le réalisme. Il impressionne. Il touche. Il convainc.
Une bande-son en retenue
Autre aspect marquant du film : sa musique. Composée par Dany Synthé et Isko, elle prend à contrepied les attentes. Là où l’on aurait pu s’attendre à une avalanche de percussions tribales ou à une ambiance très « World Music », il n’en est rien. Les compositeurs optent pour une approche plus sobre, en demi-teinte, faite de guitares mélancoliques. Ces thèmes musicaux renforcent l’intimité de certaines scènes, notamment celles où Billong est avec sa famille.
Un polar qui va à l’essentiel
Indomptables est un film court, sec, sans fioritures. Il va droit au but. L’enquête policière agit comme un fil rouge, mais le cœur du récit bat ailleurs : dans le quotidien, la douleur silencieuse, les sacrifices familiaux.
C’est un film qui en dit beaucoup sur l’Afrique contemporaine, sur la masculinité, sur le poids des responsabilités, et sur l’amour – quand il est maladroit, silencieux, mais réel.
Et surtout, c’est un très beau film.
Un film important.