Une révolution narrative portée par la technologie
Depuis l’avènement du smartphone, la narration cinématographique et télévisuelle a connu une véritable révolution. Plus qu’un simple outil, le smartphone s’est imposé comme un élément scénaristique à part entière, contraignant les auteurs à repenser leur écriture pour intégrer ses possibilités tout en conservant le suspense.
Quand l’absence de communication créait le suspense
Avant cette révolution technologique, la fiction tirait souvent son intensité dramatique de l’absence de communication instantanée.
Dans des films cultes comme Les Dents de la mer (1975) de Steven Spielberg, la tension repose largement sur l’isolement des personnages en mer et leur difficulté à alerter ou coordonner rapidement les secours. L’impossibilité d’une communication rapide augmente le sentiment d’urgence et de danger imminent, nourrissant le suspense.
Si les smartphones avec une couverture réseau complète avaient existé à l’époque, les personnages auraient pu s’envoyer des messages d’alerte instantanés, géolocaliser le requin ou appeler les secours en temps réel, ce qui aurait réduit la peur liée à l’isolement et transformé radicalement la dynamique du récit.

Un défi pour les scénaristes contemporains
Avec la généralisation des smartphones dans les années 2010, les scénaristes ont dû faire face à un double défi : utiliser un outil aux capacités quasi illimitées tout en préservant la dynamique dramatique des récits.
Le smartphone permet désormais aux personnages d’accéder instantanément à une multitude d’informations : géolocalisation, recherche sur Internet, capture vidéo en direct, appels et messages instantanés. Cette immédiateté bouleverse les règles classiques du suspense, puisqu’elle supprime souvent les obstacles naturels qui nourrissaient autrefois la tension narrative. Toutefois, cette transformation s’accompagne aussi d’opportunités inédites.
L’intégration visuelle des interfaces numériques — SMS, messageries instantanées, réseaux sociaux — est devenue un outil narratif à part entière. Des séries comme Black Mirror ou des films comme Searching exploitent pleinement ces formats pour raconter leurs histoires d’une manière inédite.
Limites et tensions narratives
Pour autant, cette omniprésence des smartphones pose aussi des limites. L’instantanéité qu’ils offrent tend à fragiliser le suspense traditionnel, poussant les scénaristes à recourir à des astuces narratives comme la batterie déchargée, le réseau indisponible ou la perte du téléphone.
Par ailleurs, le smartphone devient un témoin numérique omniprésent, capable de filmer, d’enregistrer et de localiser, réduisant les zones d’ombre qui permettent au mystère et à la tension de s’installer. Néanmoins, certains récits modernes ont su faire du smartphone une véritable star du récit. Searching (2018), par exemple, déroule toute son intrigue via les écrans d’ordinateurs et les échanges téléphoniques, faisant de ces outils numériques le cœur même de la narration.
De même, des films comme Unfriended ou Host construisent leur univers entièrement autour d’appels vidéo et de conversations en ligne, utilisant l’interface numérique comme décor et enjeu dramatique.
Une nouvelle esthétique cinématographique
Au-delà de leur rôle dans la narration, les smartphones ont également bouleversé la manière de filmer. Des œuvres comme Tangerine (2015) ou Unsane (2018) ont été entièrement tournées avec un iPhone, démontrant la puissance esthétique et la démocratisation permise par ces appareils.
Cette évolution ne se limite pas au champ de la production : elle affecte aussi la réception des œuvres.
Des études récentes montrent que le visionnage sur smartphone peut être aussi immersif que sur grand écran, surtout pour les “digital natives” habitués à consommer des contenus dans des contextes mobiles et interactifs. Le spectateur ajuste ainsi lui-même la manière dont il reçoit le récit, rendant l’expérience plus personnalisée et sensorielle.
Des critiques et des adaptations intelligentes
Toutefois, cette omniprésence des smartphones dans la fiction divise. Sur des plateformes comme Reddit, de nombreux passionnés estiment que ces appareils rendent trop facile la communication entre personnages, affaiblissant ainsi la crédibilité des intrigues urbaines et le suspense.
À l’inverse, certains scénaristes parviennent à intégrer intelligemment ces outils, comme dans la série Sherlock (BBC) ou le film Glass Onion, où le smartphone est utilisé de manière crédible et subtile, sans dénaturer la tension narrative.

Le smartphone, acteur central de la fiction moderne
En définitive, le smartphone n’est plus un simple accessoire dans la fiction : il est devenu acteur, témoin et parfois même espace narratif à part entière. Cette transformation oblige les auteurs à redoubler d’inventivité pour préserver suspense et profondeur tout en reflétant une époque où la communication est instantanée et omniprésente. Loin d’être un frein à la créativité, le smartphone ouvre la voie à de nouvelles formes d’expression, adaptées à notre monde numérique et connecté.