Alors que les grandes tragédies de l’histoire ont inspiré des chefs-d’œuvre du septième art, la pandémie de Covid-19 peine à trouver sa place sur les écrans. Pas de grande fresque, pas de récit fondateur. Un silence étonnant face à un événement universel.
Le cinéma, mémoire des grandes tragédies
Depuis toujours, le cinéma transforme les drames collectifs en récits puissants, donnant forme aux menaces et incarnant les combats d’une époque.
La Seconde Guerre mondiale a donné naissance à La Liste de Schindler, Le Pianiste ou Il faut sauver le soldat Ryan. Le 11-Septembre a inspiré Vol 93 ou World Trade Center. Le sida, autre crise sanitaire mondiale, a trouvé un écho profond dans Philadelphia, 120 battements par minute, Angels in America ou Les Nuits fauves.
Même les pandémies anciennes, comme la peste ou le choléra, ont nourri la fiction : Le Septième Sceau, La Peste, L’Amour aux temps du choléra…
Ces œuvres subliment la douleur par la narration, cristallisent un traumatisme partagé et le font exister au-delà du fait historique.
Mais face au Covid, un étrange mutisme persiste. Aucun grand film manifeste ni récit emblématique. Quelques tentatives marginales :
- Songbird (2020), dystopie tournée dans l’urgence, critiquée pour son traitement opportuniste.
- Locked Down (2021), comédie romantique en confinement, davantage anecdote que récit de crise.
- The Bubble (2022), satire de tournage en période Covid, décalée, loin d’un propos central sur la pandémie.
Du côté des séries, quelques épisodes spéciaux (Social Distance, Stuck Apart) ont vu le jour, sans laisser d’empreinte durable.
À ce jour, aucun récit de fiction n’a réussi à cristalliser l’expérience planétaire de la pandémie.
Des échos en filigrane : quand le cinéma parle sans nommer
Certains films récents comme Le Règne Animal (2023) de Thomas Cailley capturent des atmosphères de tensions sociales exacerbées et de défiance généralisée, résonnant indirectement avec le climat post-pandémique. Sans mentionner le virus, ils traduisent subtilement des préoccupations contemporaines.
Cela illustre une tendance : aborder les séquelles sociales, psychologiques et existentielles du Covid sans nommer la pandémie. Cette distance souligne la difficulté à représenter frontalement une expérience encore trop proche.

Un traumatisme encore à vif
Le cinéma a besoin de temps pour digérer l’Histoire. Des décennies ont été nécessaires avant que n’émergent les grands films sur la Shoah. Pour le Covid, ce recul n’existe pas encore : trop récent, trop douloureux.
Par ailleurs, la saturation médiatique a envahi tous les écrans et discours. Trop vu, trop commenté, ce sujet a épuisé le regard. Le public semble aujourd’hui préférer l’évasion à la confrontation.
Une blessure trop intime pour être racontée ?
Ce trou noir pourrait aussi relever d’un tabou contemporain. Le scénariste et réalisateur français François Ozon, qui a su traiter avec justesse des sujets engagés comme le sida (Été 85, Grâce à Dieu), a déclaré : « Le Covid a tout bousculé. Ce que je veux filmer, ce sont les sentiments qui subsistent, pas les faits bruts. »
De son côté, Thomas Lilti, médecin et cinéaste, a exprimé dans plusieurs entretiens son refus de s’attaquer frontalement au sujet : « On m’a proposé un projet sur le Covid, mais je ne me sentais pas légitime, ni prêt. Je trouvais que ce n’était pas encore le moment. »

Le récit viendra. Mais autrement.
Le besoin de récit est pourtant immense. Il émergera, mais pas sous forme de reconstitution. Le cinéma aidera à regarder les blessures du monde, à travers des œuvres sur l’attente, la solitude, le doute ou la peur de l’autre.
Il racontera autrement : l’isolement, la fatigue, la méfiance, les liens distendus. Un huis clos, une disparition, un amour empêché. Un film où le mot « Covid » ne sera peut-être jamais prononcé, mais où chacun se reconnaîtra.Comme pour les grands traumatismes historiques, le cinéma finira par parler de cette page. Mais subtilement, pas frontalement, ni sur fond de sirènes ou de masques.
Car, même quand il semble se taire, le cinéma n’oublie jamais longtemps.