En 1965, les Français découvraient pour la première fois la fameuse comédie portée par deux géants du rire, Bourvil et Louis de Funès. 60 ans plus tard, retour sur un film qui a marqué plusieurs générations grâce à sa drôlerie, sa modernité et sa mise en scène.
Inutile de présenter cette comédie populaire, maintes fois diffusée à la télé…! LE CORNIAUD, film culte de Gérard Oury, fête ses 60 ans cette année. Rien qu’à son évocation, on se marre en se remémorant certaines scènes qui figurent parmi les plus célèbres du cinéma français. A commencer par l’invraisemblable accident de la 2 CV et de la réplique qui va avec : « elle va marcher beaucoup moins bien, là forcément ! ». On se souvient également du caractère naïf de Bourvil, entraîné dans les magouilles d’un Louis de Funès irascible et nerveux. De la fameuse séquence de la douche, où l’acteur compare son physique peu avantageux à celui d’un athlète musclé. Mais aussi du Youkounkoun, le plus gros diamant du monde caché dans le klaxon d’une Cadillac !
Soixante ans plus tard, le film a certes pris quelques rides. Mais il garde en lui une agréable patine des années 1960 et tout ce charme burlesque qui expliquent facilement pourquoi ce fut un immense carton à l’époque. Et pourquoi ça marche encore en 2025.

© Nana Productions _ SIPA
Le goût des vacances
LE CORNIAUD est en effet un road movie drôle et plaisant, qui a le goût des vacances. Nous sommes dans les années 1960, en plein boom automobile, à l’époque où les Français partent pendant plusieurs semaines, l’été, avec leur voiture chargée d’affaires.
Ainsi, de Naples à Bordeaux en passant par Pise ou Rome, nous suivons le parcours estival d’Antoine Maréchal (Bourvil), un Monsieur-tout-le-Monde sympathique qui avait bien failli voir ses congés lui passer sous le nez après un bête accident de voiture. Fort heureusement, le responsable de ce malheureux événement n’est autre qu’un assureur, M. Saroyan, incarné par Louis de Funès. Pour se faire pardonner, il propose à Maréchal de convoyer d’Italie jusqu’en France la luxueuse Cadillac d’un ami. Autrement dit, un superbe voyage en perspective !
Dès les premières secondes de la proposition, on sent le coup tordu à plein nez. Dans la bagnole se cache effectivement 100 kilos d’héroïne, 300 kilos d’or et un bijou d’une valeur inestimable. Le personnage de Bourvil, en bon gars candide, ne voit pas le coup monté… et se lance bien volontiers dans l’aventure. « Qu’est-ce que c’est que cet abruti ? » dira l’un des complices de Louis de Funès. « Pour un tel chargement, répond-t-il, il nous fallait un naïf qui ne se doute de rien ! ». Un corniaud, en somme.
Humour dosé, réalisation calibrée
Pour sa toute première comédie, le réalisateur Gérard Oury s’inspire en réalité d’un fait divers : Un mec s’est fait prendre avec de la drogue planquée dans la carrosserie de sa voiture, aux Etats-Unis, le tout sous fond de French Connexion. L’homme avait déclaré qu’il n’était au courant de rien. Encore en 2025, on se prend gaiement au caractère insolite de cette histoire pastichée dans LE CORNIAUD, à ce chassé-croisé d’1h45 entre Funès et Bourvil, rythmé par une série d’événements rocambolesques.

© TAMASA Productions
L’efficacité du long-métrage tient justement dans l’usage bien dosé des deux têtes d’affiche. Funès et Bourvil avaient déjà échangé quelques répliques dans Poisson d’Avril et La Traversée de Paris. Nous assistons ici à la naissance d’un vrai duo de cinéma. Gérard Oury les emploie dans une succession de scènes qui mettent en avant tantôt Bourvil, tantôt Funès, rarement les deux ensemble, pour bien huiler son récit.
A cet égard, LE CORNIAUD s’appuie volontiers sur les codes traditionnels du burlesque pour mieux réinventer la comédie populaire. Par leurs styles d’humour bien différents, les deux vedettes forment une nouvelle version du clown blanc et du clown auguste.
Chaque personnage que nous rencontrons a son caractère bien défini, des traits de personnalité caricaturés (certains nous paraissent d’ailleurs parfaitement désuets en 2025 !). On joue par exemple sur la soi-disant malhonnêteté des Napolitains, la jalousie des Italiens. On retrouve le rôle inquisiteur du flic, et le stéréotype de la jeune touriste en auto-stop. La mafia est ridiculisée : elle se promène dans une petite voiture rouge au Klaxon aigu, et se laisse dirigée par un chef peu charismatique.
Le film mêle également comique de situation, dialogues bien trouvés, quiproquos, gags visuels. Comique de geste aussi, héritage du cinéma muet dont Louis de Funès est le grand admirateur. La scène du garage, dans laquelle il doit réparer en vitesse la Cadillac en pleine nuit, est un hommage direct à Charlie Chaplin. Nous avons, bien sûr, une fin pleine de rires avec une certaine revanche morale : le petit filou finit par être piégé dans ses propres manigances, tandis que le gentil benêt se révèle « pas si Koun-Koun qu’il en a l’air ».

© copyright Carlotta Films
Mais il n’est pas question avec LE CORNIAUD de faire seulement une comédie pour de la comédie. Le film témoigne d’un souci de la mise en scène, qui se veut à la fois propre et inventive. Gérard Oury a le sens du cadre. Son objet est soigné, pensé, calibré. Il met de l’émotion, de l’action, du paysage. Les moyens alloués par la production sont d’ailleurs importants : il s’agit d’un film en couleur, tourné dans des décors naturels, avec un budget conséquent pour l’époque. Il est également l’un des premiers longs-métrages français à enregistrer du son direct. L’efficacité du CORNIAUD est aussi le fruit de cette ambition.
Le début d’une belle épopée comique
Le film place en réalité tous les ingrédients qui seront peaufinés, améliorés, réutilisés dans le cinéma de Gérard Oury, que ce soit pour La Grande Vadrouille, La Folie des Grandeurs, Les Aventures de Rabbi Jacob, ou encore Le Cerveau, L’As des As, voire La Vengeance du Serpent à Plumes et La Soif de L’Or.
LE CORNIAUD marque alors le début d’une belle lignée de succès pour le réalisateur. Cela le sera aussi pour les deux acteurs. Sans doute un peu plus pour Louis de Funès, qui vivait à l’époque une étape importante dans sa carrière. Un an auparavant, il explosait avec Le Gendarme de Saint-Tropez et Fantomas. LE CORNIAUD, plus grand succès français à l’époque (près de 12 millions de spectateurs !), est venu confirmer son statut de vedette après des décennies de petits rôles et de galères.

© TAMASA Productions
La collaboration Oury-Bourvil-Funès fera à nouveau des merveilles seulement un an plus tard avec La Grande Vadrouille. Ce chef d’œuvre restera longtemps au sommet du box-office français… jusqu’à l’arrivée de Bienvenue Chez les Ch’tis en 2008.
Comme quoi, LE CORNIAUD n’est pas qu’une simple comédie culte. Moderne pour l’époque, le film est surtout le lancement d’une belle épopée comique, en plein coeur des sixties. Une épopée qui aura marqué le cinéma français et plus globalement le Septième Art hexagonal.
C’est en cela qu’il reste indubitablement intéressant, même soixante ans après sa sortie.