Avec KIKA, la réalisatrice Alexe Poukine signe un film électrique et inattendu, porté par une héroïne attachante : une jeune assistante sociale qui bascule dans un monde qu’elle ne maîtrise pas encore, entre désir, ambiguïtés et dérision. Au cœur de ce tourbillon, Manon Clavel, pré-nommée au César de la Révélation 2026, irradie dans un rôle intense, drôle, trouble, qui la révèle dans toutes ses nuances.
Quand tu repenses à ta première lecture de Kika, qu’est-ce qui t’a immédiatement happée ?
Ce qui m’a tout de suite frappée, c’est la liberté du film. Impossible de lui coller une étiquette : il peut être dramatique, puis très drôle, puis presque romantique. Cette façon de glisser d’un ton à l’autre m’a complètement séduite. Et cet humour, un peu décalé, un peu absurde, très humain… c’est rare. Très vite, j’ai senti qu’il y avait derrière ces pages quelqu’un de singulier, de brillant. Et j’ai eu envie de rencontrer cette personne-là.
Alexe Poukine la réalisatrice parle d’une “rencontre foudroyante” avec toi. Qu’est-ce qui a rendu ce moment si évident ?
La directrice de casting, Youna de Peretti, m’a dit : « Lâche tout ce que tu fais et lis ce scénario. » J’ai lu, appris les scènes, tout regardé de ce qu’Alexe avait fait. Deux jours plus tard, je la rencontrais. Au casting, elle a fait une blague et j’ai senti que tout était gagné. Je n’avais même pas l’impression d’auditionner : on était déjà dans le film. L’évidence était réciproque, presque physique.
Manon Clavel
Comment l’héritage documentaire d’Alexe Poukine a-t-il influencé Kika ?
Alexe est extrêmement attentive au réel, et à son absurdité. On vit parfois des situations qui ont l’air inventées tant elles sont improbables, et elle capte exactement cette zone-là.
Elle aborde la fiction comme elle aborde le documentaire : pour Kika il y a eu quatre ans de recherches, de rencontres, d’immersion. Rien n’est laissé au hasard. Sur le tournage, tout était chorégraphié, encadré et pourtant rien n’était figé. Je ne me suis jamais sentie gênée.
Manon Clavel
Le film aborde aussi le travail du sexe. Comment t’y es-tu préparée ?
C’était assez inattendu : Alexe m’a demandé de ne surtout pas me documenter. Pas de livres, pas de films, rien. Elle tenait à ce que je garde une forme de virginité d’expérience, pour que les réactions de Kika restent complètement brutes et instinctives. On a tous des images préconçues — souvent très éloignées du réel — et elle voulait éviter que je rejoue ces clichés. Alors j’ai plongé comme ça, sans filet. C’est très proche de son approche documentaire : capter une réaction vraie, non filtrée, presque à l’état pur.
Tu as passé du temps en immersion auprès d’assistantes sociales. En quoi cette expérience a-t-elle nourri ta manière d’habiter Kika ?
Passer du temps avec elles a tout changé. J’ai découvert des femmes qui avancent avec une force incroyable : elles naviguent entre urgences, détresse, violence parfois, et malgré tout, elles trouvent des solutions, elles tiennent. Ce sont de véritables combattantes du quotidien.
Kika maîtrise parfaitement les mécanismes pour aider les autres, mais elle refuse qu’on l’aide, elle. Elle a ce réflexe du “sauveur”, presque une pudeur extrême. Demander de l’aide reviendrait à dévoiler des choses qu’elle n’a pas encore formulées pour elle-même. Cette immersion m’a beaucoup guidée : elle m’a permis de jouer le personnage avec plus de respect, plus de précision, et de mesurer à quel point ces femmes ont une forme de héroïsme discret.
Ce rôle semble t’avoir profondément touchée. Qu’est-ce qu’il t’a laissé, comme actrice et comme femme ?
J’ai passé deux mois en immersion à Bruxelles, et cette expérience m’a vraiment marquée. La rencontre avec Alexe a été l’une des plus belles de ma vie artistique pour le moment.
Il y a une scène de fin qui m’a bouleversée : Kika retient tout, même son deuil, comme si elle n’avait pas le droit de s’écrouler. Moi, je suis quelqu’un qui pleure facilement. Jouer ce personnage m’a fait comprendre que certaines douleurs ne trouvent pas toujours d’espace pour être exprimées.
Je suis sortie du film un peu changée.
Si Kika s’asseyait à notre table avec nous maintenant… qu’aimerais-tu lui dire ?
Rien que d’imaginer ça, ça me touche. Je crois que je la féliciterais. Elle a traversé des choses très dures sans jamais se trahir. J’aurais envie de la serrer dans mes bras. Il y a en elle une force de vie qui, encore aujourd’hui, me bouleverse.