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Quand les actrices osent s’enlaidir pour un rôle

Dans une industrie où l’apparence féminine reste une forme de monnaie d’échange, certaines actrices choisissent de rompre avec l’idéal esthétique. Elles auraient pu se contenter d’être belles, photogéniques, prêtes à séduire la caméra. Mais certaines empruntent un tout autre chemin : celui du trouble, de l’abandon de l’image, parfois jusqu’à la défiguration symbolique.

À travers leurs métamorphoses, elles repoussent les frontières de la représentation féminine à l’écran. Entre engagement physique, négociation salariale et quête de vérité, ces transformations sont des actes de résistance : elles ne veulent plus incarner des héroïnes, mais des femmes. Des femmes sans chercher à plaire.

Le choix de la rupture

Certaines font même de cette transformation un terrain de rupture assumée avec leur image publique. Dans L’Accident de piano de Quentin Dupieux, Adèle Exarchopoulos apparaît profondément transformée. Dents proéminentes, minerve orthopédique, bras plâtré, maquillage accentuant les défauts : elle prend le contre-pied des codes habituels de séduction.

Elle s’autorise un déplacement radical : incarner un personnage absurde, loin de toute sensualité silencieuse comme dans La Vie d’Adèle. En brouillant les repères esthétiques, elle impose une autre forme de présence à l’écran — moins flatteuse, plus libre. Elle confiera d’ailleurs : « Vraiment, je m’en fous dans les films de mon apparence physique. »

Adèle Exarchopoulos

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L’effacement comme méthode

D’autres actrices vont jusqu’à se fondre entièrement dans un autre corps, effaçant les contours de leur propre identité. La transformation de Marion Cotillard dans La Môme reste une référence. Elle rase la base de ses cheveux, fait disparaître ses sourcils, tasse sa posture, module sa voix. Elle se recroqueville, se fragilise physiquement pour mieux se glisser dans la peau d’Édith Piaf.

« Neuf mois pour sortir du rôle », dira-t-elle ensuite. Cette immersion n’est pas qu’une performance technique : c’est un engagement total, où l’effacement de soi permet l’émergence d’une vérité plus grande, plus brute. Ce travail lui vaudra un Oscar, mais surtout une reconnaissance rare : celle d’avoir su disparaître pour mieux faire exister une autre. Cotillard dira plus tard que Piaf l’a « hantée longtemps après », comme si le rôle avait débordé sur sa propre identité.

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Retirer le vernis

Alexandra Lamy

D’autres choix, plus discrets, n’en sont pas moins forts.

Dans La Promesse verte, Alexandra Lamy opte pour une sobriété radicale : aucun maquillage, des vêtements simples, un visage fatigué. Elle incarne une mère déterminée, ancrée dans une réalité sociale rugueuse.

Cette simplicité visuelle donne une puissance particulière au récit. Rien n’est surjoué. L’émotion passe par le détail : une ride, un regard, un silence. Ce dépouillement volontaire agit comme un révélateur d’authenticité, où l’esthétique se met entièrement au service du propos.

Cette exigence de vérité traverse aussi les performances d’actrices internationales.

Charlize Theron, pour Monster (2003), s’est investie corps et âme. Elle a pris plus de 15 kilos, rasé ses sourcils, porté de fausses dents, prothèses et maquillage épais, pour incarner la tueuse en série Aileen Wuornos. Son apparence méconnaissable a bouleversé public et critique, lui valant un Oscar.

De son côté, Nicole Kidman, dans The Hours (2003), s’est transformée en Virginia Woolf grâce à un nez prothétique minutieusement façonné et posé chaque jour pendant trois heures. Ce rendu l’a rendue presque méconnaissable, et lui a également valu un Oscar.

Plus tôt, Cameron Diaz, star blonde glamour, s’était métamorphosée en femme négligée et banale dans Being John Malkovich (1999). Elle adoptait une coiffure désordonnée, une coloration plus sombre et aucun maquillage, ce qui lui a valu des nominations aux Golden Globes et aux BAFTA.

Photo prise par Tony Rivetti, Jr. – © 2014 – Cinelou Releasing

Jennifer Aniston, dans Cake (2014), a laissé derrière elle son image lisse pour incarner une femme au bord du gouffre, avec un visage marqué par la douleur : cicatrices prothétiques, cheveux ternes, absence de maquillage.

Dans un registre différent, Gwyneth Paltrow, dans Shallow Hal (2001), s’est glissée dans un costume rembourré de 25 kg et a utilisé du maquillage prothétique pour apparaître obèse, une immersion totale qui détonnait avec son image habituelle.

Enfin, même Anjelica Huston, icône d’élégance, se transforme en sorcière répugnante dans The Witches. Masques, latex, prothèses, transformation vocale : elle devient une créature, tout en gardant un magnétisme puissant — preuve qu’une actrice n’a pas besoin de beauté pour fasciner.

Le cas particulier de Sigourney Weaver

Parmi toutes ces transformations, Sigourney Weaver se distingue. Dans Alien 3, on lui demande de se raser la tête. Elle accepte — mais à une condition : être mieux payée. Son raisonnement est limpide : ce n’est pas un simple détail esthétique, c’est un acte fort, qui touche à son identité d’actrice, à son rapport au public et au rôle.

Elle déclare : « If I shave my head, my price goes up. » La beauté, ou sa perte, a une valeur. Elle transforme son sacrifice en revendication, imposant dans une industrie où l’on attend que les femmes s’adaptent une logique d’égal à égal.

Alien 3

Un constat que partagent aussi les maquilleuses de télévision, témoins au quotidien de ces gestes de dépouillement.

Dans des séries comme Unité 9 (Québec), Ariane Castellanos, qui fait partie du casting, illustre comment les comédiennes sont transformées pour incarner des personnages visuellement en difficulté, fragilisés, ou « tout sauf glamour ».

Le maquillage peut inclure la suppression des sourcils, l’ajout de rougeurs ou un teint terne, afin de refléter l’état psychologique du personnage. Selon la maquilleuse, « quand on accepte de jouer, on accepte que le look ne sera pas à notre avantage, mais qu’il va aider le personnage ».

Pour Ariane Castellanos, cette transformation physique à l’écran est un moment fort émotionnellement. Elle a été profondément bouleversée en se voyant dans une scène marquante. La maquilleuse se souvient : « Ariane… elle était vraiment émue en se regardant ».

Ce contraste souligne à quel point la métamorphose physique peut être un puissant déclencheur émotionnel, révélant toute la force du jeu et de l’incarnation. Un sentiment partagé aussi par Nadia Tereszkiewicz, transformée en femme à barbe dans Rosalie : « Se voir aussi poilue m’a déplacée », dit-elle, évoquant l’effet miroir provoqué par cette altération radicale.

Jouer sans filtre : l’actrice face à l’épreuve de l’image

S’enlaidir à l’écran n’est pas un sacrifice gratuit. C’est un geste de jeu, parfois une déclaration d’indépendance, parfois une contrainte négociée. Certaines s’y jettent corps et âme. D’autres tracent leurs limites. Toutes, à leur manière, racontent une chose essentielle : le rapport qu’elles entretiennent avec leur image, leur corps, et le regard du monde.

S’enlaidir reste pourtant un geste rare, encore perçu comme exceptionnel. Quand un acteur masculin vieillit, on célèbre sa gravité. Quand une actrice change son apparence, on parle de « courage ». Comme si la beauté féminine devait rester intacte, préservée, et que toute transgression devenait un événement.

Pourtant, ces transformations racontent mieux que mille discours ce que signifie « jouer » : se mettre en danger, habiter un corps étranger, abandonner le miroir. Et peut-être, paradoxalement, retrouver une forme de vérité nue. Ces choix sont loin d’être anecdotiques. Ils interrogent en profondeur le rôle de l’actrice dans une industrie qui a longtemps réduit le féminin à l’ornement. Se salir, vieillir, se « dé-glamouriser » à l’écran n’est pas une tendance. C’est un choix artistique fort, parfois douloureux.

Cela souligne aussi une réalité persistante : la majorité des scénarios et des rôles principaux continuent d’être écrits pour des actrices répondant aux critères traditionnels de beauté, perpétuant ainsi une certaine norme esthétique. Cette surabondance de rôles pour les actrices « belles » limite la diversité des représentations féminines à l’écran.

Et si la vraie modernité du jeu d’actrice résidait dans ce courage-là : celui de ne plus plaire pour mieux toucher ?

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